| Vous connaissez probablement l'histoire 
de l'avocat qui arrive aux portes du paradis (ou était-ce 
celles de l'enfer?) et qui apprend de Saint Pierre que 
sa mort était programmée a l'âge de 
97 ans. L'avocat explique alors qu'il est, bien entendu, 
victime d'une erreur de traitement et qu'il est arrivé 
trop tôt car il n'a que 42 ans. Apres vérification, 
Saint Pierre lui précise que son âge est 
bien 97 ans, calculé sur la base des heures facturées 
a ses clients. Cette histoire d'avocats pourrait bientôt 
etre transposée aux médecins. En effet, 
la nouvelle tarification "TarMed", qui fait 
couler beaucoup d'encre ces derniers jours, prévoit 
que les médecins facturent certaines prestations 
selon le temps consacré. L'unité de base 
a été fixée a 5 minutes. L'entretien 
téléphonique avec son médecin sera 
donc consigné, en multiples de 5 minutes, dans 
une time-sheet de la meme façon que lorsqu'on s'adresse 
a un avocat ou a votre expert comptable. Ce décompte 
d'heures sera, a l'aide du TarMed, traduit en "points" 
qui seront eux-memes multipliés par un prix unitaire 
déterminant le montant facturé au patient. 
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué 
?
 La réponse a cette question se trouve apparemment 
dans la combinaison de deux parametres : un soucis de 
standardisation de la valeur des points pour toute la 
profession médicale et la disparité des 
couts d'exploitation entre les différentes spécialités. 
Un psychiatre a, par exemple, des couts d'exploitation 
généralement inférieurs a ceux 
d'un radiologue qui doit amortir un matériel 
de plus en plus complexe et onéreux. Les "points" 
essaient par ailleurs de tenir compte de la complexité 
de l'acte médical, de sa durée et, autrement 
dit, du savoir-faire du médecin. Il est intéressant 
de comparer ce systeme avec celui, plus simple, adopté 
par les avocats, autre profession libérale : 
ceux-ci facturent généralement un tarif 
horaire applicable a l'ensemble de leurs prestations. 
A ce tarif horaire qui inclut les frais généraux, 
s'ajoutent tous les autres débours entrant dans 
le prix de revient de la prestation fournie au client, 
tels que frais de courrier, de photocopie, de fournitures, 
etc. Si c'est un avocat moins qualifié ou un 
assistant qui traite une partie du dossier, son tarif 
est naturellement plus bas. Ces tarifs horaires, préalablement 
convenus avec chaque client, sont généralement 
fonction de l'expérience, du talent et de la 
renommée de l'avocat ainsi que de la complexité 
de l'affaire. Il y a des avocats "a 150 francs" 
comme des avocats "a 750 francs". Les clients 
peuvent donc choisir leur avocat en toute "connaissance 
de tarif" (d'ailleurs souvent négociable) 
et en tenant compte du "talent" de leur mandataire. 
Les consultants, avocats, experts-comptables considerent 
que ce modele de facturation représente la moins 
mauvaise solution, étant entendu qu'aucune solution 
n'est parfaite. Certains pensent qu'un tel modele pourrait 
aussi etre applicable aux médecins. Les spécialités 
médicales qui demandent des investissements plus 
importants ou des interventions plus risquées 
pourraient facturer un tarif horaire plus élevé 
que celles ayant moins d'exigences. L'analyse détaillée 
d'une telle démarche, notamment au niveau de 
la problématique du remboursement des prestations 
par les compagnie d'assurance, dépasse le cadre 
de cet article et je me limite donc a signaler qu'elle 
mérite effectivement d'etre envisagée. 
La question fondamentale soulevée par le mécanisme 
de facturation des prestations médicales ambulatoires 
est celle de leur prix de revient. Pour savoir combien 
un médecin indépendant gagne apres déduction 
de ses frais, il est bien sur indispensable qu'il identifie 
ses couts d'exploitation. Une connaissance globale ne 
suffit plus car les patients et les assureurs exigent 
des prix de "vente" par prestation. Peut-on 
raisonnablement fixer un prix de vente unitaire si on 
n'a pas calculé le prix de revient réel, 
puisque c'est la différence entre les deux qui 
détermine le revenu net du thérapeute 
? Face a un "prix de vente" pratiquement imposé 
par les compagnies d'assurance ou l'état, le 
fait de ne pas procéder a une analyse des prix 
de revient releverait de l'inconscience. La connaissance 
de la marge entre prix de vente et de revient correspond 
a la démarche élémentaire de n'importe 
qu'elle entreprise. Le "vilain mot" est lâché! 
Est-il raisonnable de prétendre, comme certains, 
que la médecine ne devrait en aucun cas etre 
une entreprise ? 
Il apparaît que les autorités, les compagnies 
d'assurance ainsi que les patients attendent des médecins 
une optimalisation des charges facturées alors 
que ces memes médecins ne sont pas formés 
aux techniques de la gestion d'entreprise. Cette attente 
manque de cohérence et le curriculum de formation 
des médecins devraient inclure une formation 
de base a certaines méthodes de la gestion d'entreprise, 
surtout s'ils vont etre amenés a remplir des 
time-sheets et gérer un cabinet, ou encore une 
équipe dans un hôpital. Le médecin 
qui veut intervenir uniquement par vocation doit renoncer 
a devenir indépendant car l'indépendance 
ne peut se manifester que par une approche entrepreneuriale. 
Certains praticiens ont déja intégré 
cette donne et n'hésitent pas a promouvoir aupres 
de leurs "patients/clients" des prestations 
qui ne sont pas couvertes par les assurances, de maniere 
a pouvoir augmenter librement leur marge bénéficiaire. 
D'autres se demandent pourquoi on leur interdit de vendre 
des médicaments, alors que cela est parfaitement 
acceptable dans certains cantons ainsi que dans d'autres 
pays. Un médecin est par ailleurs parfois amené 
a prescrire un médicament qui dégage une 
marge bénéficiaire pour le pharmacien 
représentant jusqu'a cinq fois le montant des 
honoraires perçus par le médecin alors 
que c'est ce dernier qui assume la vraie responsabilité 
du traitement. Il est difficile de rester indifférent 
face a la perversion de certains des mécanismes 
artificiellement mis en place pour empecher les médecins 
de se comporter en entrepreneurs, surtout si on leur 
impose des regles contraignantes affectant leurs revenus. 
Une remise en question s'impose. 
Les médecins, qui ont passé par une formation 
professionnelle parmi les plus longues et les plus astreignantes, 
souvent au prix de sacrifices personnels et financiers 
considérables, méritent que cet "investissement" 
soit justement récompensé par une rémunération 
gratifiante, sans toutefois etre exagérée. 
Y renoncer pourrait vraisemblablement conduire a ce 
que le nombre de médecins indépendants, 
qui seront prets a prendre le risque de voir fondre 
leur rémunération nette, diminue et que 
les plus talentueux orientent leur activité professionnelle 
dans une direction dont la rémunération 
est plus en rapport avec leurs capacités. Pourquoi 
un bon médecin indépendant devrait-il 
accepter de gagner sa vie moins bien qu'un bon avocat 
? Une certaine libéralisation de cette profession, 
dite libérale, semble nécessaire avant 
qu'il ne soit trop tard. 
A vouloir ignorer les facteurs entrepreneuriaux de 
la profession médicale, nous courrons le risque 
d'inciter les médecins a devenir ou rester salariés 
des institutions hospitalieres - cela correspondrait 
en pratique a une médecine d'état, que 
la majorité des patients ne souhaite apparemment 
pas. Il est donc impératif de faire preuve de 
cohérence de maniere a ce que le public, les 
patients ainsi que les institutions prennent conscience, 
pour leur propre bien, de la nécessité 
de ne pas décourager les "médecins 
entrepreneurs". Quand aux médecins indépendants, 
ils doivent aussi accepter la composante entrepreneuriale 
de leur métier et acquérir, par un complément 
de formation, les outils qui font le succes des entrepreneurs, 
s'ils veulent sauvegarder leurs propres intérets. 
 
* Enseignant l'entrepreneurship a l'EPFL, UniGe 
et HEC Geneve ; info@getratex.ch, CEO Getratex SA, 
administrateur de sociétés et consultant, 
co-responsable des cours d'entrepreneurship a l'EPFL 
et HEC Geneve. 
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