|  
  S'appuyer sur l'intelligence des collaborateurs 
est donc une nécessité tant pour les entreprises 
que pour les administrations  
" Cherchons employé aveugle et ne sachant 
pas lire pour recopier textes secrets ". C'est 
à cette annonce, sauf erreur rédigée 
par Pierre Dac, que je ne peux m'empêcher de penser 
en voyant ce que certaines organisations attendent de 
leurs collaborateurs. Elles veulent des employés 
qui ne posent pas de questions pour assurer l'exécution 
des décisions prises par la direction. Dans ces 
entreprises, la promotion est plus fonction de l'absence 
de transgression que de la capacité à 
contribuer au développement.  
Si ce modèle " top-down " est aussi 
populaire, c'est qu'il a fait ses preuves par le passé 
et qu'il a le mérite de valoriser les chefs. 
Sa faiblesse tient au fait que, en l'absence de remise 
en question, il conduit des entreprises à exécuter 
aveuglément des plans voués à l'échec. 
Swissair en représente la triste illustration. 
Ce modèle souffre aussi d'une contrainte qui 
tient au fait que le chef doit disposer de l'information 
ad-hoc pour pouvoir prendre des décisions adéquates. 
 
Pour y parvenir, il faut que les informations lui 
soient transmises dans un délai suffisamment 
court pour qu'il puisse réagir de manière 
pertinente aux circonstances. Dans la pratique, cela 
est rarement le cas car les collaborateurs ne peuvent, 
faute de temps, transmettre l'intégralité 
des informations. La sélection qu'ils font de 
facto est donc fonction de leur capacité de tri. 
D'un côté on leur demande d'exécuter 
sans réfléchir et de l'autre on attend 
d'eux qu'ils réfléchissent quand même 
pour transmettre au " cerveau décideur " 
les informations pertinentes...  
Pas évident, et encore moins motivant ! A supposer 
que le collaborateur miracle qui s'accommode de cette 
situation puisse faire ce qu'on attend de lui, il lui 
est de toute façon impossible de transmettre 
les informations de manière instantanée. 
Ce décalage entraîne automatiquement un 
ralentissement du processus de décision, et donc 
de la capacité de réaction de l'organisation. 
La vitesse du changement dans le monde des affaires 
s'est tellement accélérée que le 
temps de réaction disponible a été 
automatiquement réduit d'autant. L'alternative 
consiste à laisser les collaborateurs prendre 
des décisions sur le terrain qui est le leur. 
Cela revient à leur faire confiance. 
Pour rester dans la course, il faut accepter de 
ne plus centraliser l'intelligence mais encourager 
l'intelligence distribuée au sein de l'organisation. 
Le problème avec le collaborateur qui réfléchit 
est qu'il est susceptible de remettre en question le 
chef. Mais le chef qui a peur d'être remis en 
question n'est-il pas en fin de compte celui qui doute 
de ses propres compétences ? Le vrai leader est 
celui qui ne se soucie pas de préoccupations 
touchant à son ego mais qui cherche à 
identifier les meilleures solutions pour son entreprise. 
Il se doit de privilégier les remises en question 
car ce sont elles qui permettent le progrès. 
 
Je constate de manière systématique dans 
les séminaires de gestion que j'anime que les 
collaborateurs respectent les chefs qui les (et qui 
se) remettent en question. La plupart des progrès 
de l'humanité sont d'ailleurs le fruit de remises 
en question : Einstein a remis en question la constance 
du temps, Freud celle de l'origine exclusivement physiologique 
des maladies. En matière de gestion, le remplacement 
des guichets bancaires par des bancomats correspond 
aussi à une remise en question de la nécessité 
des prestations personnalisées, compte tenu de 
leur coût.  
Pour être réceptif aux remises en question, 
il faut rester ouvert au changement et ne pas persister 
à croire que ce qui a fonctionné dans 
le passé va continuer à fonctionner. La 
résistance au changement est la réaction 
de défense typique de ceux qui ont peur de la 
remise en question. Ils refusent d'entrer en matière 
de manière sincère ou le font superficiellement 
juste pour faire illusion.  
 Il suffit de lire les journaux (sans occulter les 
cas nombreux mais peu médiatisés, citons 
pour illustrer ce propos quelques exemples classiques: 
ABB, Swissair, Arthur Andersen, Banque Sarasin, Polaroid, 
BCV, etc.) pour constater qu'aucune entreprise n'est 
à l'abri et que les Suisses n'échapperont 
pas à cette réalité du changement. 
La seule question pertinente n'est pas de savoir si 
ce risque existe réellement mais de savoir comment 
s'y préparer.Il n'y a qu'une seule voie : créer 
des organisations prêtes à faire face au 
changement ou mieux encore, à l'anticiper. Il 
existe heureusement des outils pour y parvenir de manière 
structurée car la remise en question tout azimut 
est aussi dommageable que l'absence de remise en question. 
Ces méthodes font appel à l'intelligence 
des collaborateurs en les impliquant et les motivant. 
C'est la maîtrise, au sein de l'entreprise, de 
l'art de la remise en question, autrement dit d'innover, 
qui va faire la différence entre les survivants 
victorieux et les laissés-pour-compte. Dans un 
environnement aussi dynamique que celui que nous connaissons, 
s'appuyer sur l'intelligence des collaborateurs est 
donc une nécessité impérative, 
tant pour les entreprises que pour les administrations. 
* Enseignant et co-responsable des cours d'entrepreneurship 
à HEC Genève; rc@getratex.ch, 
CEO Getratex SA, administrateur de sociétés 
et consultant. 
 |